Nous avons eu le plaisir d’échanger avec Sébastien Touzé, pilote de la transformation numérique au la direction des Affaires maritimes : un ingénieur qui casse le stéréotype de l’informaticien introverti et laconique.

Du coup, nous en avons profité pour discuter de plein de sujets intéressants : le télétravail, l’animation de réunions, les logiciels libres, l’open data, la business intelligence…

Il y a de fortes chances que vous trouviez son interview aussi inspirante que nous.

Parlez-nous de vous et de votre parcours

Je travaille depuis un an à la direction des Affaires maritimes, en tant que pilote de la transformation numérique. Ce poste fait suite à mon recrutement en tant qu’entrepreneur d’intérêt général (EIG), toujours au sein des Affaires maritimes.

Le programme EIG est géré par la direction interministérielle du Numérique, et recrute des profils techniques au sein d’une administration pendant 1 an, pour résoudre des défis métiers grâce aux outils du numérique. Il s’agit, en particulier, d’optimiser l’exploitation des données dont l’administration dispose, afin de les valoriser.

Le but de mon premier projet était de prédire les risques de sécurité sur les navires. En effet, les navires de la flotte française sont régulièrement visités de manière exhaustive pour évaluer leur état. Notre objectif était d’outiller le passage d’un contrôle systématique de tous les bateaux, à un contrôle ciblé uniquement sur les navires qui sont les plus à risque. Et ce, grâce à la data science, c’est-à-dire aux algorithmes.

Nous les avons utilisés et optimisés, pour faire en sorte que ces algorithmes prédisent au mieux le besoin d’une visite, tout en restant compréhensibles pour les agents réalisant les visites. C’est ce qu’on appelle « la redevabilité de l’algorithme ». Il s’agit de rendre l’algorithme transparent et compréhensible par tout le monde. Suite à ce premier projet d’un an, j’ai donc été recruté pour étendre ce type de projet dans d’autres domaines des Affaires maritimes.

Comment se déroulaient les réunions au sein de l’EIG en 2019, et comment se déroulent-elles à la direction des Affaires maritimes aujourd’hui ?

Au sein du programme EIG (entrepreneur d’intérêt général), nous avons fait beaucoup de visites avec les inspecteurs de sécurité, c’est-à-dire les utilisateurs finaux, pour comprendre comment ils travaillaient. Ensuite, nous avons beaucoup échangé avec eux pour avoir leur retour sur les premières maquettes.

Ça n’était pas toujours en présence pour des raisons géographiques, car les inspecteurs sont sur les façades maritimes françaises, et nous à Paris. Les échanges avaient lieu principalement par téléphone. Ceci a été parfois une limite, car il nous arrivait de ne pas pouvoir montrer un objet et avoir un avis dessus. On n’était pas encore assez équipés à l’époque.

Aujourd’hui, ma situation est différente : mon objectif est d’animer la discussion sur ce que le numérique et la data science pourraient apporter aux sous-directions métiers des Affaires maritimes. Il s’agit plutôt d’ateliers de réflexion et d’idéations, sur les besoins et les difficultés que les équipes peuvent avoir au quotidien. Pour ça, j’utilise un outil de vidéoconférence de l’État (basé sur une solution open source), et Tixeo, un autre outil de vidéoconférence français.

L’interaction entre les participants au projet est-elle encouragée ? Si oui, comment ?

L’interaction entre les participants est fortement encouragée. Il est essentiel d’avoir un support visuel, d’autant plus que ces échanges se passent aujourd’hui en visio. Pour cela, j’utilise Klaxoon pour animer la réunion et faire participer les gens, en fonction de leur prise en main (s’ils sont plus ou moins à l’aise avec le numérique).

L’idéal serait de créer une communauté hors ligne autour de nos échanges pour collecter des retours, et avoir une plateforme de partage d’information qui puisse être animée, même quand la réunion se termine. Ça me permettrait aussi, en tant qu’animateur de ces échanges, de savoir si ce que nous sommes en train de construire va vraiment avoir de la valeur pour les utilisateurs.

Si la situation sanitaire le permettait, ces réunions auraient-elles lieu en présence ?

Le bénéfice du COVID, c’est d’avoir forcé le télétravail, et accéléré le développement des outils de téléprésence.

S’il n’y avait pas le COVID, nos échanges seraient un mélange de présentiel et de distanciel, parce qu’il est important que ces réflexions autour des outils numériques impliquent tout le monde, y compris ceux qui ne sont pas à Paris.

Logiciels libres et sécurité des données : comment limiter les risques d’attaques cybercriminelles ?

Les logiciels libres ne sont pas moins sûrs que les logiciels propriétaires, au contraire !

Si le code source n’est pas ouvert, expliqué et compréhensible, comment puis-je être sûr que l’algorithme prend les décisions qu’il est censé prendre ? Les logiciels libres permettent d’analyser le code, d’évaluer sa pérennité, et de faire un audit de qualité et de sécurité : savoir s’il y a un moyen de pénétrer (que ce soit dans la donnée stockée, ou dans les échanges, dans le cas d’un outil de vidéoconférence).

L’ouverture du code permet de multiplier les tests et d’empêcher les cyberattaques : n’importe qui peut analyser et remonter le risque de possibles failles techniques. La condition essentielle c’est que ces remarques soient prises en compte par celui ou celle qui maintient en vie le logiciel, pour le faire évoluer à travers des corrections. Il faut aussi avoir en tête que beaucoup de logiciels fermés sont fortement construits à partir de logiciels libres.

On entend souvent parler de l’importance de l’open data pour l’administration publique. Pourriez-vous nous en donner un exemple ?

Accéder aux données publiques de l’administration est un droit exprimé dans l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme.

C’est une des raisons pour laquelle le programme EIG est fortement empreint de la notion d’open data, le partage des données. Prenons l’exemple des décisions de justice : après avoir anonymisé certaines informations, le partage permet d’avoir un référentiel accessible par tout le monde.

Idem pour les informations sur la flotte des navires français, qui peuvent permettre de faire des statistiques économiques, ou d’autres utilisations.

Comment la BI (business intelligence, ou informatique décisionnelle) a-t-elle évolué ces dernières années, et quelles sont, à votre avis, les tendances concernant la BI en 2021 ?

Aujourd’hui, à la direction des Affaires maritimes, nous avons beaucoup d’indicateurs qui sont suivis avec des outils de BI.

La difficulté, c’est que ces outils sont souvent très statiques : on définit un indicateur, et on n’est pas censé y toucher trop souvent. Cependant, les politiques publiques évoluent beaucoup plus vite que la capacité à faire évoluer les indicateurs dans les outils de BI.

L’objectif est de passer à des outils plus agiles, qui permettent aux utilisateurs d’explorer les données, de les comprendre et de se les approprier. Et au-delà, il s’agit de s’appuyer sur la data science avec des outils de prévision.

Ainsi, on prédit l’évolution de l’indicateur en exploitant une masse d’informations qui vont au-delà des données propres de notre administration, comme les données économiques globales, par exemple. Pour résumer : faire en sorte que la donnée ne soit plus “un truc d’informaticiens !”.

Propos recueillis par Laura Mattiucci